5 questions à Benjamin Herzog, Directeur Général de Scientific Portfolio (an EDHEC Venture)
L’écosystème en Finance et Finance du Climat de l’EDHEC est, à bien des égards, ambitieux. La fintech Scientific Portfolio (an EDHEC Venture) en est une nouvelle émanation et illustration. Après l’annonce de sa création dans le cadre du plan stratégique « Générations 2050 », elle entre désormais dans une nouvelle séquence. Explications avec son Directeur Général, Benjamin Herzog.
Quelle est la mission de cette nouvelle pousse issue de la culture de recherche à impact de l’EDHEC ?
Benjamin Herzog : La stratégie d’impact de l’EDHEC a consisté, depuis maintenant plus de 20 ans, à transférer aux acteurs de l’industrie financière des outils et des concepts académiques pour répondre à des problèmes concrets auxquels ils sont confrontés lorsqu’ils font face à des choix d’investissement.
La plupart des investisseurs connaissent parfaitement certains principes académiques comme celui d’adopter une approche basée sur les risques et non pas sur les performances passées ; et pourtant, dans la pratique, ce sont les performances passées qui souvent priment dans ce type de décision. Une explication possible est qu’il est difficile d’évaluer les risques : les investisseurs se retrouvent donc forcés d’utiliser des outils, mis à leur disposition par des fournisseurs, qui pêchent souvent par « biais de confirmation » (« Je déclare faire de l’ESG, mon fonds a bien performé, donc l’ESG a bien performé »… l’erreur de logique est évidente, et pourtant c’est irrésistible !).
En quoi la plateforme de votre fintech change-t-elle la donne ?
La plateforme que nous avons développée pendant notre incubation à l’EDHEC met enfin entre les mains des décisionnaires des outils adaptés à ce qu’ils savent souvent depuis longtemps, sans avoir jamais eu les moyens de les mettre en pratique.
Ils peuvent ainsi enfin ignorer les performances passées et baser leurs décisions d’investissement sur une information plus riche et plus fiable, à savoir les risques et leur diversification ; ils peuvent enfin évaluer un investissement dans le contexte de leur portefeuille existant au lieu de le juger seul (ce qui est absurde notamment si on cherche la diversification) ; ils peuvent enfin évaluer un fonds climat sous l’angle d’une stratégie d’alignement climatique complète et non sur une simple mesure de sa décarbonation passée ; ils peuvent enfin juger un portefeuille d’investissement durable sur la base de ce qu’il contient et non pas de ce que son fournisseur en dit.
Ces derniers thèmes liés à l’ESG rendent la tâche encore plus complexe parce que si tout le monde est à peu près d’accord sur l’intérêt de contrôler le risque d’un portefeuille, il y a autant d’objectifs d’impact extra-financiers que d’investisseurs ; une approche permettant à l’investisseur d’expérimenter directement et de construire un portefeuille par une approche dédiée devenait donc indispensable.
Vous semblez dire que l’investissement durable ne peut se faire qu’à la carte, est-ce bien réaliste ?
Non, évidemment, notre rôle est de donner un cadre solide et accessible pour permettre aux investisseurs de concevoir et de mettre en œuvre une politique de durabilité et d’alignement climatique.
Prenez l’exemple d’un acteur financier souhaitant traduire dans ses investissements un objectif de décarbonation progressive de l’économie : il pourrait naïvement construire son portefeuille de manière à réduire par tous les moyens son empreinte carbone (habituellement représentée par les émissions de CO2 nécessaires en moyenne pour générer 1M€ de revenus). Cela pourrait l’amener à progressivement exclure certains secteurs comme les transports ou la fabrication des matériaux de base (béton, acier, plastiques) dont il est pourtant crucial de financer la transformation plutôt que de couper le robinet des investissements !
Le travail de recherche mené dans notre équipe a pour but de dévoiler ce type de pièges ou d’intuitions erronées inhérents à l’investissement climatique, et qui guettent nombre d’investisseurs tenus de modifier en profondeur et en trop peu de temps leur façon d’investir.
On entend souvent utiliser le terme de « greenwashing » qui a une connotation négative, mais pour ce qui est des investisseurs finaux, c’est sans doute le résultat d’une certaine précipitation et d’un manque d’outils indépendants. C’est le signe d’un marché qui semble s’être réveillé en sursaut - et c’est tant mieux ! - mais il faut maintenant redonner sa place à un cadre consensuel basé sur un véritable travail de recherche. C’est tout l’objet par exemple de l’EDHEC-Risk Climate Impact Institute avec lequel Scientific Portfolio (an EDHEC Venture), qui a la chance d’être née dans cet écosystème, entretient des liens étroits.
En quoi vos travaux scientifiques dans le domaine de l’investissement durable remettent-ils en question les modèles financiers existants ?
Dans le domaine de l’investissement durable, il faut avoir conscience de la multiplicité des objectifs, comme en témoigne le damier multicolore représentant les 17 Objectifs de Développement Durable du cadre Onusien, et qui n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg !
L’un des messages les plus importants de nos travaux récents est que tous ces objectifs ne sont pas forcément compatibles entre eux. Autrement dit : il va falloir faire des choix, par exemple, entre des objectifs climatiques ou ESG ambitieux. Ces choix sont complexes, d’une part parce qu’il faut des investisseurs capables de trouver un équilibre dans un problème multidimensionnel, et d’autre part parce qu’une partie de l’industrie cherche à préserver les modèles d’investissement existants. C’est normal, ils y ont des intérêts économiques, mais cela donne à croire que l’on peut construire un portefeuille durable, aligné climatiquement, tout en restant extrêmement proche des indices de marché (ou benchmarks) existants.
Les régulateurs américains et européens ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, ni certains investisseurs, obtenant la suppression de divers labels ESG des noms et descriptions de nombreux fonds d’investissement.
Cette approche semble vous apporter une dose certaine d’optimisme ?
Effectivement ! Les travaux de Vincent Bouchet et Aurore Porteu de la Morandière (accessibles sur EDHEC Vox ici et la) montrent qu’il est possible de concevoir une stratégie durable efficace basée sur le principe du « do-no-harm » tout en respectant des contraintes raisonnables sur les déviations financières.
Ce n’est pas rien. Le principe du « do-no-harm », même s’il peut sembler anecdotique, est d’une part consubstantiel à l’idée même de développement durable et a d’autre part déjà permis de faire bouger certaines lignes : par exemple, les patrons de Total Energies et de Shell ont récemment annoncé envisager de déplacer leur cotation principale aux Etats-Unis parce que les investisseurs Européens se faisaient rares en vertu de ce principe.
La plateforme Scientific Portfolio (an EDHEC Venture) va permettre aux investisseurs de réaliser leurs propres expérimentations et de trouver le compromis le plus cohérent avec leur politique d’investissement, c’est un véritable changement de paradigme – et ce qui invite également à l’optimisme pour répondre à votre question ! Alors qu’une nouvelle phase s’amorce pour notre fintech, nous nous réjouissons de pouvoir commencer à accueillir un large public d’investisseurs sur la plateforme et mettre ces idées en pratique.