Dans un contexte de pénurie de talents, les jeunes diplômés n’ont jamais été aussi convoités quels que soient les secteurs, les fonctions, les tailles et les types de structure. Attirer et fidéliser la nouvelle génération est devenue la préoccupation majeure des dirigeants et plus seulement des directions des ressources humaines. Cette situation inédite, appelée à durer jusqu’en 2030 compte tenu des données démographiques, est renforcée par une évolution profonde des aspirations professionnelles des jeunes diplômés et de leur lien au travail.
Les conseils sont nombreux pour améliorer la marque employeur, mais peu d’enquêtes interrogent en parallèle jeunes et entreprises sur la vision qu’ont les nouvelles générations en début de vie active sur le monde des entreprises et la carrière. L’ensemble des recruteurs au sein des entreprises ont-ils une bonne compréhension des attentes de ces NewGen si convoités ?
100 % des entreprises que nous avons interrogées pensent que le rapport au travail des jeunes diplômés est différent des générations précédentes : à la fois dans son expression et son contenu. Dans notre étude, nous avons fait usage des réponses d’étudiants en école de commerce pour les questions sur la vision de l’entreprise et ses représentations, et de jeunes diplômés en premier poste issus d’écoles d’ingénieur et de management pour les questions sur les ambitions et l’engagement.
Une image positive de l’entreprise bien comprise mais…
À contre-courant des idées véhiculées dans les médias, 92 % des étudiants ont de l’entreprise une vision positive et ils sont 8 recruteurs sur 10 à estimer correctement cette perception.
Quelques disparités apparaissent toutefois. Les recruteurs imaginent notamment que les étudiants perçoivent l’entreprise plus diverse, plus juste, plus innovante socialement, et moins complexe que la façon un peu plus sévère dont les jeunes la représentent. À l’inverse, les étudiants trouvent l’entreprise plus passionnante et épanouissante que ce qu’imaginent les recruteurs.
Les recruteurs ont également une très juste perception du rôle prédominant que les étudiants attribuent aux entreprises pour faire face aux enjeux du monde. Ils mésestiment néanmoins l’importance des transformations sociétales auxquelles les jeunes sont le plus sensibles, et notamment l’importance accordée à l’éthique de la gouvernance : rémunération des dirigeants et du capital, respect des droits humains, optimisation fiscale…
Les objectifs de carrière des jeunes générations ont, eux, évolué avec les enjeux de leur époque. Depuis plusieurs années, l’acquisition de compétences et le développement personnel est le premier objectif professionnel de ces jeunes adultes, et les recruteurs en sont parfaitement conscients. Mais depuis 2019, la contribution utile à la société n’a cessé de progresser dans le classement des objectifs des jeunes, au point d’être aujourd’hui leur deuxième choix, évolution encore assez mal mesurée par les recruteurs.
D’autre part, 28 % des recruteurs pensent que les jeunes générations choisissent comme premier objectif professionnel l’obtention de revenus élevés alors que ce n’est qu’une minorité de 13 % des jeunes qui le choisissent en priorité.
Distorsion d’ambitions
Une autre distorsion concerne l’idée que se font l’ensemble des entreprises des ambitions professionnelles des nouvelles générations, que nous avons étudié ce coup-ci du côté des jeunes diplômés. Nous distinguons trois profils dans nos travaux :
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les compétiteurs, centrés sur le développement ambitieux de leur carrière, motivés par la perspective d’un poste de dirigeant, une responsabilité hiérarchique et une rémunération attractive ;
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les engagés, orientés sur les enjeux du monde, motivés par l’intérêt général, la culture et les valeurs de l’entreprise ;
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les entrepreneurs, animés de l’envie d’innover, motivés par le challenge, la liberté d’action, l’autonomie dans les missions confiées et la conduite de projets.
Seuls 19 % des entreprises estiment que le profil engagé est celui le plus souvent retenu par les jeunes alors qu’il est le profil phare pour 38 % d’entre eux. Si, en revanche, 59 % des entreprises pensent que les jeunes s’identifient le plus souvent au profil entrepreneur, ils sont 35 % des jeunes diplômés en poste à le faire, choix un peu moins fréquent que pour le profil engagé.
L’étude montre enfin une assez mauvaise évaluation de certains facteurs d’engagement au travail. L’intérêt des missions et l’opportunité de se former sont beaucoup plus importants pour les jeunes diplômés que ne se le figurent l’ensemble des entreprises interrogées.
De même, l’importance d’un travail ambitieux et challengeant et de la contribution au développement de l’entreprise sont également sous-estimés par les entreprises. A contrario, l’impact de l’ambiance de travail et de la rémunération sur l’engagement des jeunes est surévalué par les entreprises.
Meilleurs pour séduire que pour fidéliser
Concernant l’organisation et les modalités du travail, les horaires flexibles et le travail asynchrone sont bien la modalité la plus importante des jeunes diplômés, évaluée comme telle par les recruteurs. La possibilité de concentrer son travail sur quatre jours, très importante pour 26 % des jeunes est, elle, sous-estimée par les entreprises. C’est le cas également de l’attrait de travailler moins avec une rémunération proratisée : avoir du temps pour vivre et/ou pratiquer une activité extra-professionnelle qu’elle soit familiale de loisirs ou associative, est très important pour la nouvelle génération. Les entreprises surévaluent cependant légèrement l’importance accordée par les jeunes à la liberté totale de choisir chaque jour son lieu d’exercice.
Les entreprises dans leur ensemble semblent donc avoir une assez bonne perception de la vision et des aspirations des jeunes, et leurs marque-employeurs parviennent à séduire et attirer les candidats. Mais ces employeurs apparaissent moins pertinents dans leur compréhension des besoins des jeunes en poste, et moins clairvoyants quand il s’agit de les fidéliser et de les engager.
Les jeunes en premier poste pointent souvent une complexité organisationnelle et une verticalité, qu’ils ne jugent pas toujours gages d’efficacité. La multiplication des process, des reportings et autres réunions constituent de forts facteurs de désengagement. Ils soulignent aussi un manque d’autonomie et de responsabilités associé à un management de proximité jugé sans marge de manœuvre, comme « empêché » par la stratification de l’organisation.
La compréhension des aspirations par les entreprises n’est, en résumé, pas en défaut mais doit se poursuivre par l’accompagnement des jeunes diplômés au cours de leur première expérience. L’attention portée à leurs constats parfois naïfs mais toujours concrets de ce qu’ils ressentent comme dysfonctionnements constitue le principal levier de leur réengagement.
Cet article de Manuelle Malot - Directrice Carrières et EDHEC NewGen Talent Centre, et Geneviève Houriet-Segard - Directrice adjointe de l'EDHEC NewGen Talent Centre, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.