Mieux évaluer les risques des investissements durables
Dans leur dernier article à paraître, Aurore Porteu de La Morandière, Vincent Bouchet, et Benoit Vaucher, chercheurs au sein de Scientific Portfolio (an EDHEC Venture), explorent l'impact financier des exclusions dites « ESG » (i.e répondant à des exigences environnementales, sociales et de gouvernance) sur le risque et la diversification des portefeuilles d'actions.
En se concentrant sur près de 500 indices de pays de l'OCDE (Europe et États-Unis), les chercheurs donnent un aperçu détaillé de la manière dont les différents niveaux d'exclusion – c’est-à-dire le fait de sortir certains types d’investissements d’un portefeuille d’actions – de légers à stricts, peuvent influer sur les risques financiers des investisseurs institutionnels.
Comprendre les effets de l’exclusion par l’application de critères ESG rigoureusement définis
L'exclusion est une méthode très répandue dans l'investissement durable, mais ses effets sur la performance et le profil de risque des portefeuilles restent débattus. Pour remédier à l'absence de consensus sur les critères d'exclusion ESG, les auteurs - développant leur précédent article (1) - ont construit trois filtres ESG basés sur des approches différentes et ont analysé leur impact sur un large échantillon d'indices.
Le premier filtre, appelé « Consensus », s'appuie sur des critères d'exclusion ESG largement acceptés et répandus parmi les investisseurs institutionnels, ciblant des industries telles que les armes controversées ou l’industrie du tabac. Ces critères sont basés sur un examen des politiques d'investissement ESG appliquées par les plus grands gestionnaires d'actifs au monde.
Le second filtre, appelé « PAB Screen », s'aligne sur les normes minimales des indices de référence de l'UE pour la transition climatique et des indices de référence de l'UE alignés sur l’Accord de Paris. Il cible donc les secteurs liés au climat, tels que les industries pétrolières et gazières, tout en abordant des enjeux majeurs non liés au climat, tels que le tabac et ceux relatifs aux violations des principes du Pacte mondial des Nations unies (UNGC).
Enfin, le « SDG Screen » adopte une position plus ambitieuse, en sortant du portefeuille toute entreprise qui contribue négativement à l'un des 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies.
Les résultats montrent que l'application de ces filtres ESG a entrainé des exclusions moyennes de 9 %, 10 % et 58 % des parts des 128 indices européens pour les filtres Consensus, PAB et SDG, respectivement. Et pour l'échantillon américain de 365 indices, les exclusions moyennes atteignent 19 %, 23 % et 67 % des parts. Ainsi, l'exclusion de parts parfois conséquentes du portefeuille a naturellement un impact sur leur profil de risque, dont l’évaluation constitue le point central de cet article.
Équilibrer les considérations ESG et les risques financiers
Les deux premiers filtres d'exclusion ont un impact limité sur le risque, surtout lorsqu’ils sont combinés à une réallocation des titres restants par une méthode « optimisée » qui minimise la tracking error. Pour mémoire, la tracking error est la mesure de la volatilité des écarts de rendement entre un portefeuille et un benchmark ou indice de référence sur une période donnée. De son côté, le filtre « Consensus» entraîne une tracking error de 0,9 % et de 1,5 % pour les fonds européens et américains, respectivement. Le filtre « PAB» augmente la tracking error de 0,5 point supplémentaire. Toutefois, le filtre SDG, bien plus ambitieux , a entraîné des niveaux de risque actif plus élevés - en moyenne 4,7 % dans les fonds européens et américains. Pour les investisseurs institutionnels, de tels niveaux incitent à la prudence en raison des risques plus élevés et des écarts potentiels par rapport aux normes sectorielles, en particulier dans les secteurs de l'énergie et des services publics.
Au-delà du risque actif, les auteurs montrent également que les exclusions tendent à augmenter l'exposition au facteur « profitability » tout en diminuant légèrement l'exposition aux facteurs « value » et « investment ».
Les résultats de cette étude ont des implications importantes pour les gestionnaires d'actifs, et pas seulement du point de vue du risque. Par exemple, il a été constaté que la méthodologie de réallocation a un impact sur l'intensité carbone du portefeuille. Les filtres « Consensus » et « PAB » suivis d'une réallocation « naïve » tendent à réduire l'empreinte carbone du portefeuille. Cependant, la même réduction peut ne pas se produire avec une réallocation « optimisée », pour des raisons liées au processus d'optimisation. Ainsi, lors de l'utilisation d'une approche optimisée pour minimiser la tracking error, des mesures de protection simples doivent être mises en place pour éviter une augmentation de l'empreinte carbone du portefeuille.
Du point de vue d'un gestionnaire de fonds, l'étude quantifie les compromis entre les obligations fiduciaires (axées sur les rendements financiers) et le désir d'éviter les investissements dits « nuisibles ». Alors que les exclusions légères ont un impact minime sur le risque et la performance, l'adoption de critères ESG plus stricts peut accroître l'écart par rapport aux normes du marché, ce qui entraîne une surveillance accrue de la part des investisseurs institutionnels. L'étude suggère que les méthodes de réallocation optimisées offrent un moyen d'équilibrer ces objectifs antagonistes.
Conclusions et orientations futures
Ces travaux montrent que les exclusions ESG affectent le profil de risque financier des portefeuilles d'actions, mais que ces effets peuvent être limités. Pour les exclusions légères, telles que celles basées sur des critères consensuels, l'impact financier est faible et les risques sont considérés comme acceptables. En revanche, les exclusions plus strictes, telles que celles alignées sur les ODD, peuvent entraîner des tracking errors et des déviations sectorielles plus élevées. Ces résultats soulignent la nécessité pour les gestionnaires d'actifs de comprendre comment les exclusions ESG influencent le profil de risque de leurs portefeuilles et ce qu'ils peuvent faire pour les gérer. (2)
L'étude contribue au corpus croissant de littérature explorant l'impact des critères non financiers sur les portefeuilles d'actions, et offre des indications pratiques aux gestionnaires de fonds qui naviguent dans les complexités de l'investissement durable. Les recherches à venir fourniront une vision plus granulaire de l'interaction entre les critères ESG et le risque financier.
Références
(1) Pourquoi les fonds « durables » pourraient vraiment devenir « verts » tout en limitant l’impact sur leur profil de risque (Mai 2024). EDHEC Vox - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/pourquoi-fonds-durables-devenir-vraiment-verts-tout-en-limitant-impact-risque
(2) Voir le site internet de Scientific Beta (an EDHEC Venture) - https://www.scientificbeta.com/